« J’étais assommé par le coup de bouteille, j’avais un énorme hématome à la tête. On m’avait transporté dans le coin infirmerie. Quand ma mère me vit ouvrir les yeux, elle me souffla à l’oreille : ‘Fais semblant d’être très touché. À partir de maintenant, tu n’entends plus et tu ne peux plus parler. C’est ta seule chance d’en sortir. »
Il y a 76 ans, le jeudi 16 juillet 1942 et le vendredi 17 juillet, la police française a été mise à la disposition des autorités allemandes d’Occupation pour arrêter 27 361 Juifs à Paris et dans sa banlieue. Cette grande rafle, dont le nom de code était « Vent printanier », est restée dans la mémoire nationale sous le nom de « Rafle du Vél’d’Hiv’ ». Elle a été réalisée à la suite de négociations entre le Secrétaire Général à la Police, René Bousquet, délégué par le chef du gouvernement Pierre Laval et Carl Oberg, chef suprême de la SS et de la police de sûreté en France occupée. Au cours de cette rafle, qui a été réalisée dans le cadre du projet nazi de la « Solution finale », 4 500 policiers français ont arrêté 13 152 Juifs, dont 4 115 enfants, sur la base d’un fichier établi par la préfecture de police, d’après un recensement ordonné en septembre 1940.
La chaleur et l’entassement
Les célibataires et les ménages sans enfant ont été emmenés directement dans le camp d’internement de Drancy situé dans la Banlieue nord-est de Paris. En revanche, 8 160 personnes, réunies en familles, ont été transférés par autobus. Ce sont les véhicules de la Société des transports en commun de la Région parisienne (S.T.C.R.P.), qui avait fusionnée avec la Compagnie du métropolitain de Paris (C.M.P.), qui les ont menés au Vélodrome d’Hiver, situé rue Nélaton dans le XVème arrondissement de Paris, en attendant d’être transférées dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande dans le Loiret. Les autorités françaises et allemandes, qui avaient préparé depuis plusieurs semaines l’opération, avaient choisi ce lieu habituellement réservé aux grands événements sportifs. Les Juifs raflés ont été entassés dans les travées et les gradins comme l’a dénoncé un tract de l’époque : « Les internés sont installés sur les bancs ou assis par terre. Il n’y avait pas assez de place pour s’allonger. La nuit, les enfants couchaient par terre. Les adultes restaient assis sur les bancs. ». Les autorités françaises et allemandes n’avaient pas envisagé d’approvisionnement en eau et en nourriture et il a fallu attendre l’après-midi du 16 juillet, pour qu’un unique point d’eau soit mis en place au moyen d’un tuyau de lance branché par les pompiers dans la cour. Les Quakers ont transféré deux caisses de biscuits le premier jour, tandis que le deuxième jour, le Secours national a réussi à faire pénétrer des produits alimentaires, bien qu’en quantité insuffisante pour tous les internés. Les conditions d’hygiène se sont rapidement détériorées d’autant qu’il n’y avait qu’un nombre restreint de latrines car celles dont les fenêtres qui donnaient sur la rue avaient été condamnés pour limiter le risque d’évasion. Comme l’a relaté dans son témoignage le médecin juif Jean Goldman : « Nulle hygiène dans ces latrines trop peu nombreuses où chacun attend impatiemment son tour, sous l’œil des policiers chargés de les surveiller ». Les quelques latrines utilisables ont vite été bouchées rendant l’atmosphère irrespirable et puante et d’autant plus intolérable qu’il régnait une chaleur caniculaire. Annette Muller, alors petite fille, a témoigné de l’inconfort de la situation : « Nous voulions aller aux cabinets. Mais impossible de passer dans les couloirs de sortie et, comme les autres, nous avons dû nous soulager sur place. Il y avait de la pisse et de la merde partout. J’avais mal à la tête, tout tournait, les cris, les grosses lampes suspendues, les haut-parleurs, la puanteur, la chaleur écrasante. ». Une assistante sociale a relaté l’atmosphère dans une lettre écrite à son père : « C’est quelque chose d’horrible, de démoniaque, quelque chose qui vous prend à la gorge et vous empêche de crier (…). En entrant, tu as d’abord le souffle coupé par l’atmosphère empuantie et tu te trouves dans le grand vélodrome noir de gens entassés les uns sur les autres, certains avec de gros ballots déjà sales, d’autres sans rien du tout. Ils ont à peu près un mètre carré d’espace chacun quand ils sont couchés et rares sont les débrouillards qui arrivent à se déplacer de dix mètres dans les étages. Les quelques W.C. qu’il y a au Vél’d’Hiv (tu sais comme ils sont peu nombreux) sont bouchés. Personne pour les remettre en état. Tout le monde est obligé de faire ses déjections le long des murs. ». Un des médecins a expliqué qu’à son arrivée sur place, il a été frappé par « l’atmosphère [qui] était tellement saturée de poussière qu’elle devenait par moments irrespirable ». Les principales conséquences ont été la survenue de conjonctivites, de céphalées, de syncopes et de diarrhées.
Le service médical
La Croix-Rouge Française a envoyé sur place le professeur Eugène Vaucher, les docteurs Jules Comby et Michel Robineau ainsi qu’une équipe d’une dizaine d’infirmières pour assurer la mise en place d’une antenne médicale sur la piste. Ces dernières y ont assuré les soins avec un dévouement hors du commun en se relayant par équipes de quatre. L’une d’entre elles a déclaré vingt ans plus tard : « La démence et le désespoir qui régnaient n’ont pas cessé de me hanter. J’en ai rêvé et j’en rêve encore ». Le docteur Michel Robineau a également témoigné de la détresse des Juifs internés dans l’enceinte du Vél’d’Hiv : « Crises de nerfs collectives, hurlements de la folie ou de désespoir, cris d’enfants affamés auxquels répondait l’immense plainte des mères. Bruits insoutenables. La chaleur des journées qu’entretenait un soleil implacable tombant sur les verrières, rendait encore plus suffocante l’atmosphère, avec les odeurs d’excréments de ces milliers de malheureux qui ne disposaient pour leurs besoins naturels, que de cabinets insuffisants et tout de suite débordants. Je passais là des heures tragiques, tombant je crois au fond de la misère humaine ! Dans tous les yeux fixés sur moi, la même hallucinante angoisse d’être pris au piège ». De son côté, l’UGIF (Union générale des israélites de France) a été autorisée par les autorités françaises et allemandes à mettre en place un service médical d’urgence sur place avec deux médecins juifs. Les docteurs Alfred Milhaud, Simone Loewe-Lyon, Benjamin Weill-Hallé, Richard Kohn, Raymond Vilenski, Fernand Hirschberg, Jean Goldmann et Benjamin Ginsbourg se sont portés volontaires pour assurer nuit et jour la prise en charge médicale de leurs coreligionnaires qui ont été arrêtés. André Baur, le président de de l’UGIF est intervenu auprès du SS-Obersturmführer Heinz Röthke du service IV J de la Sipo-SD France à Paris, qui était l’adjoint de Danneker, afin qu’il augmente le nombre de médecins. Pierre Gallien, qui était Chef de Cabinet de Louis Darquier de Pellepoix, s’est rendu sur place et a considéré que deux médecins étaient suffisants.